REGLES DE CONDUIT

REGLES DE CONDUITE

Jessica Magnin

 « C’est seulement lorsque l’esprit est libéré du passé qu’il peut tout accueillir à nouveau, et il y a de la joie dans cela. » Krishnamurti

 Tout a sa place dans le temps et l’espace et les règles ne font pas exception.Les règles et autres codes de conduite nous empêchent de tomber dans l’anarchie et de vivre dans le chaos. Mais les règles ne sont-elles pas conçues par notre esprit ? Peut-être même sont-elles générées par la peur ? Quand bien même nous avons besoin de règles pour vivre en harmonie, on peut se demander dans quelle mesure elles ne nous limitent pas trop dans nos rencontres et nos relations avec les autres.

Ici, à Luang Prabang, une liste de règles est affichée publiquement un peu partout dans la ville. Ces règles sont prises très au sérieux et doivent impérativement être respectées. Avec plus de 350 novices et moines vivant dans la ville ancienne, le respect de ces règles se fait naturellement, même si cela dépend de la manière de les interpréter…

A 5:30 du matin, la sonnerie du deuxième gong annonce le début de saibat, le rituel des offrandes. Dans la faible lueur de l’aube, une file de novices et de moines vêtus de la traditionnelle robe orange apparaît tel un flux infini de silhouettes aux pieds nus portant sur leur épaule, nue également, une lanière tissée au bout de laquelle pend une urne.

J’arrive à ma place habituelle, m’incline respectueusement devant mes deux amis laotiens, plus âgés que moi, prends place sur un siège en bambou tressé reposant à une vingtaine de centimètres du sol, dépose soigneusement mes nu-pieds derrière moi et replie mon sin, la jupe laotienne traditionnelle, sous mes genoux, en m’assurant que mes jambes sont entièrement couvertes. Une écharpe blanche, le pha bien,  couvre mon épaule gauche. Je remonte mes cheveux en chignon.

Derrière moi, l’épais mur du Wat Sene me sépare des quelques vingt novices et autres moines qui finissent de se préparer et d’ajuster leur tenue avant de franchir l’enceinte du monastère. Un panier en osier rempli de khao niow, du riz gluant venant d’être cuit à la vapeur, repose sur mes genoux.  Je l’élève à la hauteur de mon front, m’incline en silence et bénis ces offrandes avec bienveillance et amour. Mes chers amis laotiens sont assis à côté de moi. Nous échangeons seulement un regard de douceur avec un léger sourire, rien de plus. Nous laissons le calme du petit matin baigner le caractère sacré du moment présent.

La procession commence et un ou deux chiens du monastère ouvrent la voie. Les pieds nus et les cranes rasés défilent gracieusement juste devant nous, s’arrêtant brièvement devant moi alors que je dépose une louche de riz gluant dans les bols en faisant très attention à ne pas toucher les novices et les moines, ni même les urnes. Les regards sont furtifs, tournés humblement vers le sol en signe de respect. Cela fait partie des règles non écrites du rituel des offrandes.

Jour après jour, 94 en tout, voyage après voyage, 6 au total, saison des pluies, 3 pour être précise, ou saison sèche, je suis là avec la même présence, la même intention et le même rituel respectueux. Mais, conformément aux enseignements de Bouddha, les choses évoluent avec le temps. Avec l’habitude et les jours qui passent, les choses changent, même les paramètres des règles établies.

Les premiers changements furent à peine perceptibles : un croisement furtif du regard, un léger sourire échangé, un « saibadee » ou « hello », un « kop jai lai2 » tout juste murmurés, le don d’un biscuit, et même un sourire éclatant. Dans ces instants, au-delà des règles de conduite, au-delà de ce que nous appelons « jit », l’esprit, jai, notre cœur rencontre le cœur d’une autre personne et toutes les différences, les conflits, les incertitudes, la peur, la supériorité et les règles établies s’effacent pour céder la place à une seule chose, l’art d’être humain et la capacité illimitée du cœur.

 

« Pour être libéré de toute autorité, que ce soit la tienne ou celle d’un autre, il faut tout abandonner d’hier, afin que ton esprit soit toujours frais, toujours jeune, innocent, plein de force et de passion. C’est seulement avec cet état d’esprit que l’on observe et que l’on apprend. Y parvenir requiert une grande  conscience, la conscience de ce qui se passe réellement à l’intérieur de toi, sans le modifier en fonction de ce qui devrait être ou non, car dès que tu opères des modifications, tu mets en place une nouvelle autorité, une censure. » Krishnamurti

 

Les règles sont nécessaires mais elles peuvent nous endurcir, nous le savons bien. Pourtant leur mise en œuvre nous rassure. Notre esprit est très généreux pour nous dicter ce qui est vrai et ce qui est faux, ce qui est bien et ce qui est mauvais et nous fournir des solutions joliment emballées qui évitent que nous nous éloignions trop de ces lignes de conduite. En gravitant perpétuellement autour des ces limites, notre esprit en crée davantage. C’est la façon qu’il a de faire face aux aléas de l’existence et maintenir le chaos et la peur à distance. Cela étant, notre cœur désire ardemment connaître et échanger plus de moments sacrés et être simplement humain. Dans son incapacité à vivre réellement cela, l’esprit, limité par sa faculté illimitée à créer des règles et solutions, peut uniquement essayer de conceptualiser la douceur de ces moments sacrés: à quoi ressemble-t-elle, quels sens éveille-t-elle, que peut-elle nous apporter ?

Alors, en deçà des règles et codes de conduite existantes, n’oublie jamais ton cœur car c’est uniquement là que l’amour peut être réellement ressenti et exprimé sans limite.

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